Paule, Paul /28



Paul : Paule...

Paule : Paul ?

Paul : Je perds mes moyens.

Paule : Pardon ?

Paul : Je perds mes facultés.

Paule : Voilà autre chose.

Paul : Voilà ce qui arrive.

Paule : Es-tu sûr ?

Paul : J'ai l'impression.

Paule : Mais, tu, perds, quoi ?

Paul : Contrôle...

Paule : Ah ! Embrasse moi !...

Paul : Il n'y a pas de quoi.

Paule : Tu perds ton lapin : tu lèves un lièvre !

Paul : Ce n'est pas drôle.

Paule : Est-ce que je evm ?

Paul : Tu es abhvyyr...

Paule : Ah ah ah ! Ah là, je cbzzr qr greer de bon coeur !...

Paul : Ce n'est pas drôle, je perds...

Paule : Tes moyens sont moyens, non ?

Paul : Que veux-tu dire (je ne comprends rien...) ?

Paule : Ceci : perdre ses moyens c'est gagner les pôles. Pôle sud, pôle nord.

Paul : Mais je n'aborde rien d'autre que le gouffre du manque.

Paule : Va, mon ami aimé, au fond, laisse toi gagner par l'apparente perte. Vis au dessus du méridien !

Paul : Mais je suis en deçà.

Paule : C'est bien l'accès pour y être au dessus.

Paul : Je pense saisir.

Paule : Tu ne saisis rien du tout, tu es saisi par les pôles.

Paul : Tu me tourneboules.

Paule : Rien ne peux t'arriver de pire que d'avoir la moyenne, d'être dans le milieu comme musique d'ambiance pour meubler le silence.

Paul : J'avais les mots, ils m'échappent.

Paule : Tu n'avais que la moyenne.

Paul : M'enfin, c'était d'jà pas mal j'm'y sentais bien.

Paule : Sûrement, oui.

Paul : Alors ? Que demander de plus ?

Paule : Hum... Si j'ose dire... Hum... La liberté peut-être... Une liberté... Comment dire ?...

Paul : La liberté sans moyens ?

Paule : Oui mon amour, si j'ose le dire là : la libre liberté nue et pauvre.

Paul : Pauvre de moi !... Mais Paule, que me dis-tu ?

Paule : Au risque de la misère ta pauvreté sera richement dotée.

Paul : Je n'entends pas tes espèces trébuchantes.

Paule : Car il n'y a rien qui puisse tomber à part tes bras là.

Paul : J'embrasse à la volée mais le vent ne ne me ne ne me nourrit pas.

Paule : Retrousse tes manches et tends la main.

Paul : J'ai cinq doigts à ma paume.

Paule : Voilà ce que tu découvres mon ami lancé dans le gouffre.

Paul : Mais je tombe !...

Paule : Mais non !... Tu prends ton envol.

Paul : Mon oeil !...

Paule : Tu vois !...

Paul : Et mon derrière, c'est du gallinacé ?

Paule : Des plumes te poussent, des ailes tu déploies !...

Paul : A poil, oui je suis !...

Paule : Tu flottes ! Tu ne prends pas l'eau mon canard.

Paul : Je suis un misérable...

Paule : Tu es pauvre.

Paul : Je suis un pauvre type.

Paule : Tu es un type pauvre.

Paul : Mes moyens sont perdus à jamais.

Paule : Tu es hors moyens, hors hors je te dis.

Paul : Je n'ai rien.

Paule : Tu n'as besoin de rien.

Paul : Je n'ai pas même besoin de vivre.

Paule : Non.

Paul : Je ne suis donc pas dans le besoin ?

Paule : Non.

Paul : Je suis, dénué d'intentions.

Paule : Oui.

Paul : Je suis, mû par l'attention.

Paule : Oui.

Paul : J'observe engagé dans l'essentiel ras terre ras ciel.

Paule : Tu agis pauvrement.

Paul : Ainsi la richesse est...

Paule : Elle se perd, elle s'endure, elle perdure en pure perte...

Paul : Tu joues avec les mots.

Paule : Nos mots non joués se jouent de nous naïf ami.

Paul : Je sais je sais... Et si je distingue bien, grâce à tes lumières tamisées chère Paule (en soie habillée), la misère de la pauvreté, il n'en demeure pas moins que je la frôle en étant pauvre.

Paule : Tu vis à tombeau ouvert.

Paul : Ah !...

Paule : Hé...

Paul : J'ai donc les moyens d'aller...

Paule : Enregistreuse, à fond la caisse ! Qu'est-ce que la richesse, apparemment telle, à côté d'un tel luxe ?

Paul : Peau de balle.

Paule : Peau de chagrin.

Paul : Mais pourquoi le monde entier veut-il être riche ?

Paule : Pour pleurer sa pauvreté perdue.

Paul : Il en faut des mouchoirs...

Paule : Des draps, des vêtements, des linges, mètres de turbans, ça coûte coton le tissu trempé.

Paul : Tu me vois habillé : j'ai ce qui me couvre. Je suis au sec voilé.

Paule : Tu vois.

Paul : Là je vois du monde riche et gras. L'embonpoint gagne l'espèce, les esprits comme les corps. Là-bas, le reste du monde est maigre et malade. Ceinture serrée et pistolet sur la tempe. La misère ronge son frein. Quand il lâchera, les foules affamées feront des fricassées de cervelas.

Paule : Nos têtes à la lanterne.

Paul : Notre aveuglement des Lumières.

Paule : Sombrons avant de sombrer.

Paul : Le gris est d'argent, c'est la couleur de la pauvreté.

Paule : Le gris est grisant, son ombre développe la joie abyssale.

Paul : La nuit, les félins brillent, la journée, ils ont les couleurs de la lune cachées.

Paule : Oh oh... Pouète pouète mon ami... Tu fais dans la poésie comme on fait dans le pot de chambre.

Paul : Quoi ? C'est de la crotte ?

Paule : Ca sent le poème à plein nez, tu sais, la poésie eau de cologne qui cocotte à flots.

Paul : Tu me voles dans les plumes Paule...

Paule : Je te tire les vers du nez. Ah ! Les lombrics !...

Paul : Mon nez est producteur de compost.

Paule : Te voilà, mon ami pauvre, un métier, tiens !...

Paul : Mon nez ne ment. Il fleure.

Paule : C'est le bouquet de crevettes que tu flaires ?

Paul : Je sens par les pores.

Paule : Tu navigues à vue.

Paul : J'ai perdu mes moyens, j'ai retrouvé le Nord.

Paule : Tu es libre d'aller où tu veux : du Nord au Sud, de l'Ouest à l'Est en passant par le méridien que tu traverses.

Paul : J'y suis tout à la fois. J'y suis tout à la fois que j'y suis là en réalité. Là je suis j'y suis, nul besoin de transports qui m'arrachent.

Paule : Continuons notre conversation Paul.

Paul : Poursuivons notre marche.

Paule : Tu as les moyens de tes pieds.

Paul : Ce ne sont pas des bottes qui vont me mettre au pas.

Paule : A la bonne heure !



Copyright : Antoine Moreau, 12 octobre 2005
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