Paule, Paul /10


Paul : Paule !

Paule : Paul !

Paul : Que fais-tu ?

Paule : En ce moment ?

Paul : Pas à l’instant même, non, mais que fais-tu en ce moment oui ?…

Paule : En ce moment et depuis longtemps : j’écris… Ce matin j’ai écrit comme toujours.

Paul : Ah… C’est intéressant…

Paule : Qu’en sais-tu ? Tu n’as rien lu .

Paul : Mais je m’en doute. Tes courriels, je les lis toujours avec grand intérêt.

Paule : Ma ! Notre correspondance électrique, c’est autre chose mon ami !…

Paul : Soit ! Mais alors, qu’écris-tu ?

Paule : Je te le dis : j’écris. Tous les jours j’écris, une fois ou plus par jour.

Paul : Hum… Et depuis combien de temps écris-tu ainsi au moins une fois par jour ?

Paule : Tu ne vas pas me croire : j’écris tous les jours depuis une bonne dizaine d’années, je ne sais plus depuis quand exactement, l’impression depuis toujours.

Paul : Qu’écris-tu alors?

Paule : Rien de très précis. J’écris pour écrire pour ainsi dire… Ecrire procure la paix, J’écris, je respire.

Paul : Ah… La paix… Tu écris pour avoir la paix, mais quoi ? Qu’écris-tu ?

Paule : Je te le dis : rien de très intéressant au fond. J’écris ce qui me traverse ça chasse au fur et à mesure ce qui s’inscrit trop lourdement. J’écris petit à petit. Je prends note.

Paul : Note de quoi et pourquoi faire ?

Paule : Faut-il te faire un dessin, ami cher ? J’écris pour rien d’autre que la bonne heure qui m’envahi quand je plonge dans le texte qui se forme mots à mots. Ce n’est pas franchement un plaisir non plus. Il y a des jours où écrire est pénible et je ne cesse de perdre le fil. Tu sais à quel point il faut être combatif pour avoir la paix, que celle-ci est loin d’être naturelle, qu’il faut véritablement batailler, résister aux vendeurs de sommeils en tous genres. Fais dodo, la belle histoire…

Paul : Tu noircis le papier…

Paule : Oh… Je n’imprime jamais !… Ca reste sur le disque dur. Il m’arrive d’imprimer pour voir mais c’est rare. J’écris comme je respire, sue comme un phoque oui… Pour respirer, me dégager l’esprit des histoires qui m’assaillent j’écris j’écris.

Paul : Je comprends ce que tu me dis. D’autres parlent au vent, ça ne dit rien qui comble, mais ce qui sort de la bouche s’adresse au vide, c’est expiré sorti pfuit.

Paule : Oui, Paul. C’est un exercice, un maintien de la langue, qu’elle ne tombe pas et moi avec. C’est une pratique quotidienne comme une gymnastique douce, un tai-chi-chuan, une prière, d’insérer, que, sais-je, encore ?

Paul : Sans doute, mais qu’est-ce que tu racontes ?

Paule : Qu’est-ce que j’en sais ? Ca m’étonne toujours de constater ce que j’ai pu allonger noir sur blanc en tapotant sur mon clavier. Je découvre étonnée celle qui est moi née.

Paul : Je serais curieux de te lire chère Paule.

Paule : Si tu le veux, oui, pourquoi pas cher Paul.

Paul : Je me demande bien ce que tu peux écrire ainsi.

Paule : Ce n’est pas rien mon ami !… C’est sûrement nul… Ca te dira quoi ? Je ne sais pas. Moi, ça me trouble de me lire et je préfère, et de très loin, lire autrui. D’ailleurs tu le sais, je lis aussi tous les jours et l’étagère où reposent les livres qui m’attendent ne cesse de se remplir, humpf… J’en ai pour des années à la vider. Car je relis aussi.

Paul : Alors peu t’importe ce que tu écris ?

Paule : Non mon bon ami, mais franchement, est-ce que ça me regarde ? Suis pas sûre. Je corrige, oui, je peaufine, oui. M’importe ce que je laisse visiblement, mais sans illusion je suis. Je sais que c’est nul.

Paul : Quoi ?…

Paule : Oui c’est nul, ni moins ni plus, zéro patates. Il n’y a rien, juste le désert, des graphies qui le ponctuent, un départ. Point. Un point de départ. Je ne sais quelle histoire se trame, suis prise dans les mailles. Franchement mon ami, ce n’est pas forcément mauvais, non non non… Suis bien contente de ce que j’écris, oui oui oui… Mais c’est, sur l’échelle des valeurs, ni plus ni moins que 0. Point à la ligne.

Paul : Ho ho ho… Que, peux-tu, écrire, chère, et douce, amie ?…

Paule : Je ne sais pas ce que c’est, pas à quoi ça rime moi-même… Je te le dis : ça m’étonne toujours. J’y découvre quoi ? J’y découvre… Que te dire ? Tu liras, je vais pour toi, mon tendre ami d’amour, imprimer quelques pages, tu me diras ce que tu y auras lu.

Paul : J’ai hâte de te lire Paule.

Paule : Mais tu m’as déjà lu, non ?…

Paul : Oui, tes mails…

Paule : C’est vrai, notre correspondance c’est autre chose. C’est autre chose d’écrit mais c’est lié mon ami.

Paul : Comment ça ?

Paule : Voyons voyons, laisse-moi voir… Je découvre… Ca à l’instant… N’y avait pas pensé particulièrement… Notre discussion m’éclaire, c’est heureux. Oui, mon écriture de tous les jours là est aussi une correspondance.

Paul : Je vois : une écriture donnée à, tracée sur le sable de ton écran b. Donnée sans correspondants mais correspondant à b jusqu’à z. A compris.

Paule : Mais c’est… C’est… Je ne… Et ?… C’est ?… Pourrais-je écrire dans l’eau alors ? Hum… Boire la tasse, oui… M’y noyer enfin, je le sais pour m’être imprudemment plongée quelques fois dans certains trous plutôt profonds et risquée d’y rester, au fond...

Paul : Bah… Tu es impatiente souvent, je te connais bien chère très chère amie, tu voudrais en une seule gorgée goûter à tous les vins possibles. Imagine la gerbe et ton coma assurés, la noyade dans la mer de rendus.

Paule : Je me rends bien compte de ce que tu me dis là. Oui et je mets, comme on dit, on dit tellement de choses qui en veulent dire des choses, des sous-entendus, de l’eau dans mon vin, tu sais, depuis longtemps déjà. Ecrire chaque jour me permet d’attendre patiemment les jours qui suivent.

Paul : Et c’est alors que tous les jours tu écris écrits après écrits sans que ces écrits ne trouvent de lecteurs, ils en arrêteraient le cours. Un moment durant... Ton écriture est une trace de vie, une « vitagraphie ». Texto !

Paule : Sans doute, je ne sais pas, je ne sais rien de ce qui se passe, ça se passe ainsi, un jour il y aura des lecteurs peut-être sans doute, mais comment cela se fait ? Qu’est-ce qu’un écrit achevé ? Sous forme de livre ? Imprimé sur papier, ce sont des feuilles qui tombent, mon arbre a des épines.

Paul : Ca sent le sapin ma chère !…

Paule : Question de temps je te dis. Ca ne fait qu’une dizaine d’années que je pratique l’écriture au jour le jour comme je vais d’un point à un autre. Le temps viendra où mes écrits me tomberont des bras pour atterrir sur la tête d’un promeneur d’ici qui sera là.

Paul : Qu’en fera-t-il ? Je te le demande.

Paule : Il jurera et lèvera la tête au ciel ! Une pluie de mots tombera alors. Il lira il ira où ça mène, j’aurai indiqué un cheminement.

Paul : Je me demande bien si j’aime l’odeur de la sève des pins, il me semble que oui.

Paule : Que dis-tu ?

Paul : Rien, je me pose des questions : Tes écrits sont peut-être très mauvais, sans intérêt du tout.

Paule : Je le pense, oui, souvent. Je crois qu’ils n’ont pas grand intérêt. C’est désintéressé au possible. Je te le dis : je fais ça comme une respiration. Ecrire plait à ma cervelle, mais rien de très passionnant ne sort de mon cerveau. Je te le dis : je préfère lire des auteurs. Moi, je ne suis l’auteure de rien de remarquable. Je ne crée rien d’épatant, je découvre simplement quelque chose qui se couche noir sur blanc et qui vient à travers moi, mais c’est étrange toujours, ce n’est pas moi, je le sais bien. C’est je ne sais pas ce que c’est.

Paul : C’est nul !…

Paule : Oui ! Nul à…

Paul : Je vois le 0, la bulle de zéro. C’est beau un cercle.

Paule : Oui, il y a une perfection dans la nullité que je tente en écrivant. Car mon bon ami que j’aime, je n’arrive pas toujours à être aussi nulle que je le souhaiterais. J’y tends. Mais je vois bien à mes relectures que j’approche, sans l’atteindre vraiment la nullité parfaite. Mais est-ce vraiment ça, est-ce vraiment nul ?

Paul : Ce n’est pas facile…

Paule : Tu le dis. Mais est-ce cela la nullité ? Je me pose la question.

Paul : Ce n’est pas moins que rien, c’est un tout comme un trou.

Paule : Mon amour !… Tu m’annules et me rends libre…

Paul : Nous nous écrirons ce soir…

Paule : J’y compte bien.

Paul : A ce soir Paule.

Paule : A ce soir Paul.



Paule, Paul.
© Antoine Moreau, septembre 2003/2004
Copyleft : cette oeuvre est libre, vous pouvez la redistribuer et/ou la modifier selon les termes de la Licence Art Libre. Vous trouverez un exemplaire de cette Licence sur le site Copyleft Attitude http://artlibre.org ainsi que sur d'autres sites.