Paule, Paul /8


Paule : Ah ah ah !… Toi ?

Paul : Hé ! Oui !

Paule : Mais quoi ? Tu es là ?

Paul : Mais oui !… C’est à cette heure que je sors. Le nez hors de mon ordinateur connecté prend le frais là.

Paule : Aaaaah… Plongé dans le cyber-espace que tu es tout le temps… J’ai lu ton message dans le forum de discussion fr.rec.arts.plastiques sur usenet à propos de...

Paul : J’ai vu que tu y avais répondu chère amie aimée.

Paule : Oui. Alors… Qu’en penses-tu ?

Paul : Rien. As-tu lu ce que t’a répondu Trooop?

Paule : Oui et Graaaph a répondu je ne me souviens plus quoi, mais c’était bien vu aussi.

Paul : Je l’ai rencontré il y a peu. Il ne ressemble pas du tout à sa prose.

Paule : Et moi j’ai croisé Trooop lors de la dernière édition des rencontres mobiles informelles et ponctuelles : elle m’a surpris par son silence.

Paul : Paule ? As-tu encore le temps de sortir ?

Paule : Mais je sors tout le temps !

Paul : Où ça ?

Paule : Mais là haut ! En ligne ! Sur le réseau ! Au-dessus des têtes ! L’espace électrifié ! Tu le sais bien.

Paul : Mais… Le web n’est pas…

Paule : Mais je te croise aussi cher ami aimé. Embrasse-moi.

Paul : Embrassons-nous aimable Paule.

Paule : Aimé ami, dans mes bras !

Paul : Dans mes bras aimée amie !

Paule : …

Paul : …

Paule : Tu n’as pas répondu à mon dernier mail.

Paul : J’allais le faire, j’ai été submergé de spams, une nouvelle vague offensivement virale ces derniers temps.

Paule : Tu n’es pas le seul, je filtre, je reçois pas mal toujours trop.

Paul : Bah !… Le net a vécu et nous ne sommes pas morts !

Paule : Oui ! Nous survivrons bien à l’hyper mondanité électronique. L’horizontal est un couperet qui sabre les têtes en ligne à la queue-leu-leu. Toi et moi et d’autres aimés complices, bondissons, créant ainsi des verticales vertigineuses quelques fois.

Paul : Oui oui, je vois ça. Mais tout de même, un ami lointain mais proche a disparu du flux. Sa présence face aux sabres tranchait.

Paule : Je vois de qui tu veux parler. Sache qu’il observe.

Paul : J’entends bien.

Paule : Qui sait ce qu’il fait par ailleurs ?

Paul : Oui… Son activité, prise par erreur pour de l’activisme quand l’internet existait encore dans son inachèvement… Il m’étonnerait qu’il soit inactif. Le net s’achève par la force de la volonté territoriale qui balise, lui avait pris acte du lieu qui confiait.

Paule : Il observe : ce n’est pas rien.

Paul : D’une visibilité moindre, oui, je vois.

Paule : Tu n’as pas de nouvelles ?

Paul : Non, pas depuis une semaine. J’ai reçu un mail très court.

Paule : Bon…

Paul : Paule ?

Paule : Oui ?

Paul : Te tiens-tu informée ?

Paule : Hum… Comme toi je suis bombardée. Comment passer à travers ? Suis bien tenue d’être informée oui.

Paul : Tu te tiens au parfum alors ?

Paule : Peux-tu vivre sans respirer Paul ? Je sniffe l’info qui passe à ma portée.

Paul : Aspires-tu à plein poumons ?

Paule : Non non !… Tu es fol !…

Paul : Mais je me souviens bien que tu étais fort instruite en actualité. Tu gonflais tes poumons d’aise et soufflait des flots de faits frais… Tu avais bonne mine.

Paule : Oui, il y a quelque temps, quand les infos laissaient du temps pour souffler par ailleurs. Aujourd’hui tu ne peux pas mon ami doux.

Paul : Et pourquoi ?

Paule : Mais parce que c’est irrespirable ! Ca pue ! Cocotte sévère les actus !… Ca grouille d’asticots rapides les news. Ca fouette la cervelle par les trous des nez ouverts qu’on a largement.

Paul : Hum… Au courant de tout ce qui se passe qu’on est.

Paule : Pas trop vite l’ami Pau-Paul !… Tu es au courant de ce qui passe la frontière, les actus rentre-dedans te secouent l’estomac électrifié. Les faits qui défont, sont à la surface de ton visage et maquillent. Les informations contemporaines sont un masque de carnaval.

Paul : Mais c’est ce qui se passe ce que je sais !

Paule : C’est information.

Paul : Quoi ? Il se passe quoi sinon ?…

Paule : Des bonnes nouvelles en pagaille. Des faits infimes et aimables. Des respirations et des musiques, des vues en face, des mots neufs.

Paul : Ca ne fait pas l’actualité. Ce n’est pas de l’information.

Paule : Sans doute mais c’est ce qui se passe pourtant et qui ne passe pas là où il est dit ce qui se passe paraît-il (tour)(de)(passe)(passe). Passoire !

Paul : Paule, les informations (et tu es abonnée comme moi à plusieurs listes de diffusion d’infos de toutes sortes…)

Paule : (Plus maintenant Paul d’amour. J’ai rendu la plupart à la corbeille, n’en ai plus que cinq que je parcours de temps à autre).

Paul : Bon… J’avoue, les informations, les informations d’actualité sont captivantes. Elles captent les attentions et emmènent loin les informés de leur présent.

Paule : Il y a deux temps mon amour. L’actualité et le présent.

Paul : L’actualité captive le présent.

Paule : Sans le comprendre, elle veut sa place prendre. Le « temps réel » n’est pas autre chose que la fin des temps. Enfin… Une fin des temps triviale puisqu’il s’agit de l’accomplissement du temps de l’actualité. La fin de la présence au temps. La fin du temps présent. De l’acte, de l’actualité, de l’information lourde.

Paul : De la petite histoire, du fait divers écrasant, de la boucherie de quartier pèpère au coin de rues.

Paule : J’ouvre le journal, ce n’est pas mon jour. Je me connecte, suis déconnectée.

Paul : Tu forces le trait.

Paule : Je dessine, ça soulage.

Paul : Faire face à la gueule qui dévore c’est la nourrir encore.

Paule : Tu n’as pas faim chère et tendre amie surprenante ?

Paul : Oui. Parler creuse.

Paule : Allons casser la graine dans ce troquet rigolo là-bas que je vois.

Paul : Oui, j’en salive par avance.



Paule, Paul.
© Antoine Moreau, septembre 2003/2004
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