Paule, Paul /2


Paule : Ah ! Paul ? Est-ce bien toi que je vois là ?

Paul : Mais oui ! C'est bien moi ! Ne me reconnais-tu pas ?

Paule : Si si... Mais je ne pensais pas te trouver là...

Paul : Et pourquoi donc ?...

Paule : Je ne sais pas...

Paul : Bon... Si tu ne le sais pas, comment puis-je, moi, le savoir ?

Paule : Je ne sais pas. Et toi, que peux-tu savoir alors de ma surprise ?
Te trouver là, ici même, à cet endroit… Oui, j'ai été bien surprise. Tu peux supposer des raisons à mon étonnement...

Paul : Oui, sans doute... Mais pour quoi faire au juste ?

Paule : Faire connaissance justement.

Paul : Mais je te connais bien Paule ! Je te reconnais entre toutes. Et de loin... Je sens ton odeur. Tu fleures ma chère. Tu dégages un ouragan parfumé, il s'engouffre dans mes narines et empli mes poumons d'aise et ma cervelle bondit et mon corps tressaille et mon cœur, mon cœur... Oh oh... Je te connais bien Paule, entre toutes je te reconnais. Et de loin…

Paule : Oh Paul... Je ne pensais pas ainsi, par la voie nasale, entrer dans l'intimité de tes sens. J'étais à mille lieux d'imaginer me faire connaître par le parfum délicat que je mets chaque matin... Et moi qui peine à te voir et savoir si c'est bien toi, là, que je vois, là. Ah… Mes sens… Mon œil, mon nez, mes oreilles, ma peau…

Paul : Mais chère Paule... Ce n'est pas tant le parfum dont tu t'asperges au réveil que je sens, que ton odeur. Ton odeur ma chère... Tu fouettes de tous les pores sans qu'il ne te soit réellement besoin de beaucoup suer. Tu ne ruisselles pas, non non, mais ta peau si finement musclée est fortement musquée. Je te le dis : ça m'étourdis même avant que je ne t'aperçoive à l'horizon. Je sais que tu es dans l'aire. Je tourne la tête, je renifle par saccade et je vois quelqu'un là-bas, je sais que c'est toi quand mon nez pointe dans cette direction et m’y promène alors pour t'y retrouver. Mon pif est à toi ce que l'aiguille aimantée de la boussole est au nord. Je ne te perds jamais chère et tendre amie.

Paule : Oh... Paul... Je savais sentir un peu fort de là où ça ruisselle et c'est la raison de mes pshitt pshitt parfumés quotidiens dés le matin... Mais je ne pensais pas que je cocottais du corps entier à ce point et que mon parfum n'avait alors plus d'action du tout, que mon odeur reprenait le dessus et qu'elle arrivait à cogner ton tarin de si loin... Mais mais mais Paul... Tu as le nez hum… très sensible, non ?...

Paul : Peut-être, qui sait ?

Paule : Je le pense. Mes amis me disent souvent aimer bien mon eau de toilette, ils me demandent quelle marque c'est. Jamais ne m'ont fait de remarques sur mon odeur. La sentent pas.

Paul : Mais tu sais douce et enivrante amie, que j'ai le nez creux... Je sens les choses venir avant même que d'autres ne s'aperçoivent de leur présence. Et même !... Ce que je sens à mon organe titillé, fort comme un bouc, paraît inodore à la plupart... Et si je veux m'appliquer à faire sentir ce dont le creux de mon nez est empli, il me faut faire tout un discours et par l'haleine mentholée de ma bouche, rendre sensible, enfin, le blair petit qui trône au milieu du visage que j'ai face à ma face. Un nez naît alors quelques fois. Il s'ouvre au sens lentement.

Paule : La vie donnée n'existe que si et seulement si elle renaît au sens !... Je le devine bien Paul ami : le gouffre de ton nez détecte à la ronde les milles et une odeurs du monde, quand la nature donnée des nez nés se borne à la centaine au plus.

Paul : Ce qui n'est pas plus mal non plus... Beaucoup d'odeurs sont repoussantes et font vomir pour tout dire. M'approcher de toi, chère et douce et tendre amie, me garde du nauséeux. Bien qu'elle soit forte et puissante, ton odeur m'entête joyeusement sans me faire gerber !... Puis-je sentir dessous tes bras ?

Paule : Mais fait donc mon ami !

Paul : Ah !... Arc-en-ciel lumineux ! Tonitruant paysage ! Mer déchaînée ! Volcan surchauffé !

Paule : Comme j'aimerais avoir l'abîme de ton nez !... Puis-je m'essayer à sentir dessous tes bras moi aussi ?

Paul : Mais oui Paule ! Je t'en prie.

Paule : Hum... Oui ça sent... Ca sent... Oui...

Paul : Mais encore ?

Paule : Comment dire ?... Ca sent le dessous des bras.

Paul : Et...

Paule : Hum... Et les poils mouillés, oui...

Paul : Et...

Paule : Ca sent hum... Hum, ça sent...

Paul : Quoi ?...

Paule : Le dessous des bras quoi !...

Paul : Veux-tu essayer les pieds ?

Paule : Oui d'accord.

Paul : Alors ?

Paule : Ca sent les pieds.

Paul : C'est tout ?...

Paule : Hum... Ca sent Paul un peu fort des pieds même...

Paul : Oui ?...

Paule : Ca sent le coton de la chaussette et le cuir de la chaussure.

Paul : Ne trouves-tu pas que ça sent aussi le vin aigre, l'alcool de prunes, l'alambic 30 ans d'âge ?

Paule : Hum hum... Oui oui... Maintenant que tu me le dis... Tiens ! Sent mes pieds pour voir.

Paul : Hum... Mon cœur va éclater je le sens... Il bat à tout rompre chère mie tendre. Je deviens autre, tes pieds par l'odeur me transportent. Où suis-je, où suis-je ?

Paule : Que sens-tu Paul ?

Paul : Je ne me sens plus !... C'est inouï. Je ne me sens plus Paule !

Paule : Que sens-tu Paul ?

Paul : ... Je sens... Je sens... Je chavire, je tombe, je sens, je sens... Il y a de la racine de pin, il y a des plantes et des fleurs aux sèves acides, il y a de la corne de brume tiède, il y a des relents de lombrics qui suintent, il y a...

Paule : Tu me chatouilles !...

Paul : Veux-tu sentir ailleurs ?

Paule : Et si nous allions manger ?

Paul : Bonne idée, tous ces reniflements creusent.

Paule : Oui, mon estomac gargouille, il a besoin d'une bonne collation. Sais-tu où aller ?

Paul : Laisse moi sentir... Humpf humpf…Oui, par là, ça sent le bon repas.

Paule : Ne m'en dit pas plus, cher compagnon, j'ai la salive qui commence déjà à me venir à la bouche.

Paul : Embrassons nous !


Paule, Paul.
© Antoine Moreau, septembre 2003/2004
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