Paule ouït l'anguille sous roche.




Paule : Paul, écoute moi.

Paul : Paule, oui.

Paule : Paul, j'ouïs l'anguille sous roche.

Paul : Paule...

Paule : Paul, si ! J'ouïs l'anguille, j'ouïs le long bec !

Paul : Paule, non...

Paule : Paul : je suis au Sud retournée !

Paul : Paule : que le Nord te guide !

Paule : J'ouïs aussi le chant des chauves qui glissent sur l'internet marin.

Paul : Tu divagues Paule.

Paule : L'anguille, oh pimperneau !, se tortille, elle se faufile… Elle électrise la verniau, elle est gluante l'imprenable sous les rochers.

Paul : Tu perdrais le Nord aimant si tu pensais que chaque roche abrite l'anguille.

Paule : Mais j'aime ! et j'ouïs les cheveux qui poussent aussi.

Paul : L'anguille défile en eau claire et...

Paule : Elle se reproduit en pleine mer !!!

Paul : Oui...

Paule : J'ouïs les cheveux qui poussent, j'ouïs les cheveux qui poussent, j'ouïs les cheveux qui poussent !

Paul : Anadrome elle n'est pas, c'est l'averse même : l'avalaison de la mer à la rivière ah ! Ça y va !

Paule : Il pleut à la renverse !

Paul : Tu es à l'Ouest ma chère Paule.

Paule : Est maboule qui pense la totalité de la terre.

Paul : L'eau plate est mon refuge.

Paule : La mer des Sargasses est mon domaine, le triangle n'est pas loin.

Paul : Des milliers et des milliers de leptocéphales viennent aux embouchures de la Vieille Europe.

Paule : J'ouïs le frétillement ! J'ouïs les feuilles de saule frémir. J'ouïs l'alevin, la piballe et le bouiron aller à l'eau de source !

Paul : Un caillou sourd en moi ? Je n'ouïs pas.

Paule : Je te le dis clairement Paul : il y a anguilles sous roches. C'est au coeur du moteur. Dans la mécanique des rouages, dans le cerveau des civelles.

Paul : C'est à la surface que je suis.

Paule : Ce qui n'est pas vu existe !

Paul : Ce qui existe est ce qui n'est pas vu ?

Paule : Anguilles, Angèles, Andrilles...

Paul : A la surface, je passe du coq à l'âne hop hop ! Ni su ni cru ne fais que passer, ni une ni deux je suis dans un état tiers.

Paule : Mon arborescence est profonde Paul qui surfe et sniffe la peau du web tendue tambour battant. J'ouïs le fond marin.

Paul : Mon tarin, tu le sais, tu ne le sens pas : il vaque à l'horizontal.

Paule : J'ouïs le kernel de l'internet !

Paul : J'entends l'océan qui clapote, le net a des algues.

Paule : J'ouïs les fils de usenet !

Paul : Je vois les écrans bleus.

Paule : J'ouïs les charges et décharges du FTP !

Paul : Je clique et clique.

Paule : J'ouïs les va et les viens du P2P !

Paul : J'ai la souris muette.

Paule : J'ouïs les chats IRC !

Paul : J'ai planté pieds et poings liés.

Paule : J'ouïs les reboots sauvages des fenêtres figées.

Paul : J'ai faim de sardines grillées sur la braise.

Paule : J'ouïs des anguilles à la surface !

Paul : Mon coeur bat.

Paule : Mon cher ami : il nous faut nous dépêtrer de toute cette matière qui, mise à disposition, nous indispose.

Paul : Un muscle qui bat n'est pas le sentiment que j'expulse.

Paule : Cher Paul : plonge et ouïs.

Paul : Je vais boire le bol.

Paule : Non non !... Tu vas voir l'envol que c'est... Tu vas ouïr ami cher.

Paul : J'ouïs le nez bouché. C'est peau de balle pour ma pomme.

Paule : Souffle souffle !... Pirex, pirins. Oui ouïs !

Paul : Pfff pfff... Dans le fond je n'ouïs aucune anguille.

Paule : Ami cher à mon coeur battant, tu n'y es pas allé assez au fond.

Paul : J'ai le plongeon rond, me faut-il piquer au long bec ?

Paule : Oui !

Paul : Bon... Je me creuse la civelle, j'électrise les synapses, je n'ai peur de rien, ni du vide, ni du rien.

Paule : Joie ! J'ouïs les anguilles sur ta peau ! Tes cheveux ! Les poils en dessous tes bras ! Les poils partout qui frisent et mouillent ! Tu fleures ?

Paul : Joie ! J'ouïs !

Paule : Tu vois tu ouïs.

Paul : Je vois j'ouïs.

Paule : Anguille, Angèle, Andrille !...

Paul : Des roches et rochers m'environnent.

Paule : Ouïs la pierre craquer ! Le silex chante ! Tu as du sable sur le visage.

Paul : Je sens le sel.

Paule : J'ouïs la fleur qui s'ouvre ! Les lombrics la chatouille et creusent à la racine. J'ouïs les vers de terre là.

Paul : Du coq à l'âne je ne saute plus l'anguille est mon fil conducteur.

Paule : J'ouïs la joie profonde !

Paul : L'oie au foie gros et gras ne fait pas la loi.

Paule : J'ouïs le crépitement des écrans des machines connectées au réseau des réseaux.

Paul : Le net est un gouffre.

Paule : J'ouïs le labyrinthe aux milles anguilles.

Paul : J'ouïs aussi.

Paule : Ouïssons de concert mon ami.

Paul : Oui.

Paule : Oui.




Paule ouït l'anguille sous roche (publié dans le n° 39 de Papiers Libres, janv-fev-mars 2005)
Copyright Antoine Moreau, 07/12/2004
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2Fp8260013.jpg, Swider, une rivière traversant Otwock (Pologne), http://ric.jalix.org/Galleries/
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