Rue du rendez-vous vue.

          Nous sommes vendredi 22 avril 2011. Tu as décidé de te rendre à l'exposition mode d'emploi n° 13 que j'ai organisé, histoire de voir, à la demande de Youna Renaud, postgraduate management mode et design à l'Institut Français de la Mode. Rue du rendez-vous, 12e arrondissement de Paris. Pris par les occupations du jour tu as omis, de te munir dudit mode d'emploi. Reste l'exposition, tu te dis : « sans doute le trouverais-je sur place, ce mode d'emploi ». Il était à télécharger le matin même ici même http://www.antoinemoreau.org/index.php?cat=expo13. Tu arrives par l'autobus n° 64 et tu rejoins ladite rue. Rigole minérale sous un ciel bleu d'avril. Tu la remontes. Quatre cent soixante-dix mètres. C'est à peu près la longueur de la Grande Galerie du Louvre qui est aussi un lieu d'exposition. Tu fais l'aller et le retour. Pas de mode d'emploi en vue. Pas de visiteurs non plus apparemment. Quels passants peuvent l'être ? Et l'artiste ? Le dit tel, est-il là ? Je suis, peut-être, je suis dans le jardin Debergue. J'attends peut-être et les visiteurs et les étudiants de la promo de Youna qui doivent venir. L'un d'eux fêtera son anniversaire, 22 avril, c'est son jour. Il bait feau, le boleil srille. J'ai emmené des carambars, version original, les vrais de vrai, deux bouteilles de vin blanc mises au frais auparavant : un vin d'Alsace, Sylvaner 2009, médaille d'argent au concours 2010 de Colmar, mis en bouteille par Eugène Klipfel, ses enfants et petits-enfants successeurs à 67140 Barr, France et un vin de Loire, Muscadet Sèvre et Maine, sans date, sur lie, Paul Desmazière, mis en bouteille pour Joseph Verdier à Montreuil-Bellay, France. J'ai pensé aux verres aussi. Ils sont en plastiques blanc jetables. Pâques ! Vendredi Saint ! Jourd'hui oui ! Oh oh !... Ah ah ! J'ai aussi un lapin, en chocolat hé hé !... L'ai laissé dans le topcase de mon scooter, le prendrai tout à l'heure, suis pas mal chargé déjà. Lapin au frais, mis dans le frigo avant et là dans un sac isotherme. Cool... Scooter à l'ombre, pas fondre. En ce jour quelle épreuve, quelle preuve de ?...
           Tu te demandes : « quelle silhouette serait celle d'un visiteur ? À quoi ressemble un visiteur d'exposition mode d'emploi ? ». Il est 18 heures 30. Une demie-heure après le rencart. Tu te poses des questions. Tu te résous donc à faire la visite sans mode d'emploi. Tu ouvres alors les yeux sur tout ce qui peut « faire exposition ». Et voilà : ce jeune homme qui porte un sabre japonais. Fourreau en soie violette et motifs de fleurettes plus claires. Élégante torsade jaune. Est-il « exposé » ? À la terrasse d'un café : des jeunes gens joyeux. L'un photographie l'une, jeune femme qui pose en modèle, elle. Exposition, la rue, le flux de la vie, le caniveau ruisselle d'une eau claire, dans le sens de la pente, vers la place, de la Réunion, déjà le temps passe, il doit être 18 heures 40, ou peut-être même 45. Un magasin porte l'enseigne « Idéal Vision ». Serait-ce là l'exposition recherchée ? Ou, un peu plus loin, un studio de photo nommé « Bel Air » ? Les devantures des commerces sont à la rue du Rendez-vous ce que les chefs d'œuvre italiens de la Grande Galerie sont au Louvre. Mais l'activité commerciale est le contraire de l'activité patrimoniale.
           Quoi encore ? Voici l'affiche qui annonce un cours de dessin. Elle représente un personnage du carnaval de Venise. Un chapeau avec quelques plumes, une grande cape noire qui cache un corps et surtout le masque blanc ! Un mendiant à l'entrée du Franprix, sa bière dégouline sur le trottoir : un figurant de l'exposition mode d'emploi ? Non ! Tu le reconnais ! Sa barbe pousse, mais c'est bien lui qui tourne autour de la place Bérault à Vincennes depuis quelques mois. Il a changé de place. Tu es content de le retrouver, savoir qu'il n'a pas disparu, qu'il a toujours sa bière pour le moment qui passe. Puis tu passes devant le bureau du PCF. Lui non plus n'a pas disparu, l'est pas parti l'parti l'en prend son parti pardi d'la vie qui tourne comme le vent au gré de l'histoire insaisissable.
           Ici tu entres dans l'église. L'Immaculée Conception. Mais oui, c'est bien ça. Nous sommes le Vendredi Saint. À l'entrée se dresse un grand crucifix de bois sorti pour la fête, entièrement voilé d'un beau drapé lui aussi violet. Tu fais le tour du déambulatoire. Des personnes se recueillent. Ferveur. La dernière station du chemin de croix est également voilée. La sixième : Sainte Véronique essuie le visage de Jésus, vera icona, véritable image, acheiropoïète, vitagraphie. Un homme installe des micros. Tu vois comme un signe : l'exposition de Dieu Sait Quoi. Même si visiblement... Puis, en sortant de l'église tu te rends à la vie profane avec ses richesses qui apparaissent soudainement si précieuses : poissons venus de la mer, fromages, fruits et légumes en abondance. Providence. Et ce « Repaire de Bacchus » qui fait concurrence au Vrai Dieu Vivant Souffrant La Vie Comme Amour De. La bijouterie du coin ne s'appelle-t-elle pas « Oméga » ? Le magasin de décor de la maison « Une touche en plus » fait scintiller des luminaires... Tu cherches l'artiste. Sur son scooter ? Un Scarabeo 100 cm3 2 temps qui date. Non, c'est un livreur de pizzas qui enfile son casque, pas une rencontre, non, mais un signe. Je sors du jardin et baguenaude tout au long de la rue du rendez-vous, trottoir de gauche, trottoir de droite, le nez en l'air, les yeux au loin, au sol, je vois. Nous sommes invisibles. Nos visions se croisent-elles ? Nous sont-elles communes ? Rue du rendez-vous pour toutes les fois que. Une exposition. Une promesse peut-être ? Mais de quoi peut être ?

 

Antoine Moreau, "Rue du rendez-vous vue", 24 avril 2011,

d'après Arnauld Le Brusq "Rue du rendez-vous manqué", 22 avril 2011,

suite à l'Exposition Mode d'Emploi n°13, AMEME13_RDRDV.

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