Paul : Bonsoir Paule.
Paule : Bonsoir Paul.
Paul : Paule, je suis confus, je ne suis pas sûr de m'être bien fait comprendre.
Paule : Mais je ne te comprends jamais Paul entièrement de toutes les façons possibles.
Paul : Je m'en doute, je serais dévoré.
Paule : Y'a hiatus entre nous, non ?...
Paul : Oui Paule, y'a qu'à voir... mais quelques fois Paule, me comprends-tu ?...
Paule : Mais Paul, oui, je saisi des morceaux comme brisures.
Paul : Ah... Je l'espérais tant, et... que tu recolles ces débris pour voir l'image de mes mots.
Paule : C'est ainsi que je te comprends Paul.
Paul : Aaah...
Paule : Pas au pied de la lettre Paul ! Mais au corps de l'image Paul.
Paul : Ah Paule... Ainsi tu me comprends entre les mots.
Paule : Pas au pied du mur Paul !
Paul : Les images font fenêtres quand les mots font murs.
Paule : La littéralité est la pire des littératures.
Paul : Déjà que la littérature est la pire des écritures...
Paule : Ah !... Ah !... Que les mots soient troués !... Par les images !... Trouons, trouons !...
Paul : Leur sens dessus-dessous tourneboulés par le double et triple et quadruple et quintuple et sextuple sens !
Paule : Hé ! Ce n'est pas insensé ça ! C'est le sens même des mots qui respirent d'aise, non ?
Paul : Ah oui Paule !... Les mots à sens unique sont des mots-morts.
Paule : Un mot pointe les nez les oreilles les yeux la bouche les pores et j'en oublie des trous et des meilleurs !
Paul : Quel régal qu'un mot qui s'image à plein poumon...
Paule : Dans le sens du vent les lettres les couleurs et les lignes.
Paul : Mais !... Ma chère Paule, (tu le sais)... nous sommes souvent pris au mot...
Paule : Mon cher Paul, oui : pris au piège, au pied (« au pied ! » dit le maître à son chien) de la lettre.
Paul : Ne jamais rien prendre au pied de la lettre !...
Paule : Non non non, mais mettre la main à l'image.
Paul : Croisons les lignes ! Des traits qui se mêlent.
Paule : Nos mots, portons les de la bouche aux oreilles !
Paul : Nos images entre terre et ciel !
Paule : Nous savons lire entre les lignes bon sang !
Paul : Nous savons voir entre les formes nom de nom !
Paule : Pour qui nous prenons-nous quand nous nous mettons à ce point au pied de la lettre ?
Paul : Paule, (je vais te le dire) : pour des moutons bêlants à la Loi immuable.
Paule : Mais quoi!... La Loi, fait la vie !... Elle ne saurait être lettre. Morte. Définitivement. Inscrite.
Paul : Oui Paule, la Loi c'est ta langue qui bouge dans ta bouche.
Paule : Paul d'amour, c'est ta langue qui bouge dans ma bouche.
Paul : Nous parlons la même langue ma chère amie, la Loi en nous, nous libère de la lettre mortelle.
Paule : Il n'y a d'écritures que l'Écriture, de créateurs que le Créateur, de textes que le Texte...
Paul : Ah !... Tu y vas un peu fort ma douce à la peau si lisse que j'y glisse dans l'troulàlàytrou...
Paule : Si j'embrasse la Loi, ce n'est pas pour être esclave des textes !
Paul : Au pied !...
Paule : Si j'offre mes oreilles et mes yeux aux mots ce n'est pas pour me donner à la lettre.
Paul : Piégée !
Paule : Quand je t'embrasse, Paul, je ne t'écris pas sur la langue.
Paul : Paule...
Paule : Et ma voix au creux de ton oreille te susurre...
Paul : Ah Paule !... Entre ta bouche à mon oreille il y a...
Paule : Tu aimes le par coeur.
Paul : Oui Paule, je connais par coeur mieux que par cervelle.
Paule : Voilà ! La Loi est là qui bat.
Paul : Elle combat ses textes même, ceux écrits par les scribes.
Paule : Oh... Les scripteurs... Ils ont le pouvoir mais ne voient pas l'Image.
Paul : Les scribes forcent à la servitude ceux qui aiment le son du battement.
Paule : Les scripteurs font les lois, pas la pluie, pas le beau temps.
Paul : Ce sont nos ennemis Paule et nous les aimons comme tels.
Paule : Comme ennemis distingués par nos soins ils sont estimables.
Paul : Nous les aimons, non ?
Paule : Oui Paul, quelques-uns : ils sont agents-doubles, dans les gestes, dans les faits, dans le souffle.
Paul : Ah ah ah !...
Paule : Ils ont été retournés (Par Le souffle De La Bouche !...), sont de bons indics pour le palpitant.
Paul : Ah Paule... Je t'aime...
Paule : Paul, je t'aime...
Paul : Mêlons nos langues...
Paule : Elles ne sont pas du bois dont ont fait l'papier.
Paul : En elles s'inscrit le coeur qui palpite.
Paule : Elles sont du Verbe dont on fait la Viande.
Paul : Ah !... Je meurs je vis je meurs je vis !
Paule : Aaaah... Paul...
Paul : Aaaah... Paule...
Paule : Je vis je meurs je vis je meurs...
Paul : Je vois...
Paule : je mords...
Paul : Dévore moi...
Paule : Encore...
« Ne jamais rien prendre au pied de la lettre !... », un épisode de Paule et Paul écrit pour le n° 49 de Papiers Libres.
Antoine Moreau, mai 2007.
« Pagne Wax », Photographie, Jean-Noël Lafargue, 2005.
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